• (Enregistrement du 30 mai 2012, manifestation anti-migrants, quartier de Shapira, Tel Aviv)

     

    Manifestation anti-migrants africains - 30/05/12

    La femme qui appelle au respect dans cet enregistrement est éthiopienne et vit dans le quartier de Shapira, au sud de Tel Aviv. Alors qu’elle rentre chez elle, des manifestants anti-immigrés scandant « Soudanais au Soudan » ou « Brûlez les Soudanais » l’accostent et commencent à l’insulter, la traitant notamment de « gorille ».

    « Ce sont des djihadis, proclame une manifestante, payés 2000 dollars par le gouvernement américain pour venir en Israël. »

    Une vingtaine puis, peu à peu, près de deux cents Israéliens manifestent ainsi ce mercredi (30 juin 2012) autour de la station de bus centrale. Cette manifestation fait suite aux violences de la semaine dernière, lors d’une autre « haganah » (manifestation en hébreu), dans le quartier d’Hatikva, de l’autre côté de l’autoroute. Dans ces deux quartiers, une population immigrée d’origine africaine a depuis deux ans environ afflué en grand nombre du Soudan et d’Erythrée et la tension monte parmi la population israélienne. Suite à des rumeurs de viol supposément commis par des Soudanais à l’encontre de jeunes filles juives, hommes politiques et mouvements d’extrême droite (incluant des colons israéliens illégalement implantés en Cisjordanie) se sont lancés dans une lutte violente contre les migrants africains.

    Ce discours et ces manifestations, extrêmement brutaux, soulèvent de nombreuses questions sur les causes d’un tel déferlement de violence. Crise sociale, arrivée massive de migrants depuis les deux dernières années, inaction totale de l’Etat israélien pour accueillir ces réfugiés… Ces éléments de réponse semblent partiels, tant le racisme démontré durant ces manifestations semble profondément installé.

    Cet article n’est qu’une tentative incomplète d'éclairage sur le sujet, fondée sur trois jours d’interviews de réfugiés, d’activistes et de membres d’organisations venant en aide aux migrants, d’habitants du quartier et de manifestants.

     

    ·         De l’Afrique à Israël : un parcours du combattant

    Bienvenue en Israël... ou pas.Dans le quartier, pauvre, de Shapira se mélangent Israéliens, Arabes, Philippins, Turcs et Africains. Non loin de la Central Bus Station, des centaines de migrants se retrouvent la journée et surtout en soirée pour dormir.

    Beaucoup de ces réfugiés fuient la guerre, la violence, les discriminations. Certains ont perdu leurs familles et leurs rêves. Abdou, diplômé en art, a quitté le Darfour pour trouver du travail. Sa tribu est en effet minoritaire et discriminée. Trouver un travail au Soudan est pour lui quasiment impossible. Les Erythréens fuient également les violences. Tisfay, 22 ans, explique ainsi que partir était le seul moyen pour lui d’échapper à un enrôlement forcé dans des groupes de rebelles. Il n’a pas pu entrer à l’université.

    Ces réfugiés, arrivés depuis une semaine ou plusieurs mois, sont entrés illégalement en Israël. Les Soudanais ont pu obtenir des papiers leur permettant d'entrer en Egypte, mais de là, ils doivent recourir à des passeurs. Le passage leur coûte environ de 1 500 à 2 000 lires égyptiennes (200 à  267€).

    Pour les Erythréens, la situation est encore plus dure. Ils ne peuvent en effet arriver légalement en Egypte. Le trajet dure ainsi plusieurs semaines, à pied jusqu'à la frontière soudanaise, puis en voiture à travers le Soudan et l'Egypte. Le passage en Israël leur coûte environ 4 000 dollars (3 200€). Beaucoup meurent dans le Sinaï ou sont victimes de violences de la part des passeurs égyptiens. Ces derniers leur demandent 40 000 dollars (32 000€) pour laisser passer les membres de leurs familles qui viendraient après. Sinon, ils menacent de les tuer.

    Une fois entrés en Israël, les réfugiés se présentent aux autorités israéliennes pour obtenir un visa. Ils sont pris en charge pendant environ deux semaines. "On nous fait passer des tests médicaux, pour voir si nous ne sommes pas porteurs de maladie. Et ensuite, ils nous libèrent." explique Abdou.

    Shapira, squareDehors, les réfugiés se regroupent, comme à Tel Aviv dans les quartiers d'Hatikva et de Shapira. Beaucoup se mettent ensuite à la recherche d'un travail. Ils ne trouvent la plupart du temps que des "tchik tchak works" ou petits travaux d'une heure ou deux heures, consistant à vider des camions de marchandises, nettoyer des magasins... Ils sont payés environ 20 à 25 shekels de l'heure (de 4,11 à 5,14€) par les employeurs israéliens. Les patrons arabes qui les emploient parfois dans des magasins ou des fermes sont connus parmi les réfugiés pour ne pas payer ou tricher sur les salaires.

    Dans le quartier de Shapira, deux à trois cents réfugiés environ dorment la nuit dans le parc, parmi les rats. Certains Soudanais logent dans une maison non loin, pour un loyer d’environ 150 shekels par mois (30,8€). Le soir, « La Soupe Levinsky », une association solidaire du nom de la rue qui longe le parc, distribue environ 800 repas par soir. Cette organisation a été créée en 2011, après le vote par la Knesset (Parlement israélien) d’une loi refusant aux migrants clandestins le droit à travailler en Israël. Ces migrants, une fois arrêtés, devront être placés dans des camps de détention – des « camps de concentration » d’après les opposants à cette loi – situés dans le désert du Négev, au sud d’Israël.

    Une dizaine d’organisations tentent de soutenir les migrants du sud de Tel-Aviv, que ce soit en leur donnant accès à des soins, à un soutien psychologique ou à une aide juridique. Dans les bureaux de Kav Loaved (organisation pour les travailleurs Israéliens, étrangers et Palestiniens en Israël et dans les colonies), une femme originaire du Congo Kinshasa, explique que l’un de ses employeurs refusant de lui payer ses congés, elle vient demander l’aide de l’organisation pour faire valoir ses droits. Arrivée en 2001, autrefois institutrice, elle vit aujourd’hui de ménages chez des particuliers israéliens. Depuis 2001 et bien que réfugiée, elle ne dispose que de visas de travail de 6 mois renouvelables. Son loyer est de 2800 shekels par mois (576,6€)  et elle ne gagne que 25 à 30 shekels de l’heure (de 5,14 à 6,2€)en fonction des employeurs. Il lui a ainsi été impossible de scolariser sa fille, arrivée avec elle en 2001. Cette dernière vit donc également de ménages.


    ·         Racisme et montée en violence : un danger imminent pour les migrants

    Manifestation anti-migrants africains - 30/05/12Les migrants africains sont, en Israël, de plus en plus la cible de violences. La femme originaire du Congo Kinshasa rencontrée dans les locaux de Kav Loaved et citée plus haut, raconte les insultes quotidiennes lancées par les blancs israéliens. Injures, interpellations et appels à « rentrer dans leur pays », beaucoup d’Israéliens font montre d’un réel racisme à l’égard de ceux qu’ils appellent les « kouchi kouchi ». Selon elle, la situation s’aggrave depuis quelques années.

    Ces insultes et cette violence verbale, ajoutée aux manifestations violentes organisées récemment s’expliquent en partie par la situation précaire des quartiers dans lesquels se réfugient les migrants. Les populations, déjà pauvres, de Shapira et d’Hatikva, vivent ainsi mal l’afflux récent de réfugiés africains et la tension monte.

    A Shapira, une famille de commerçants dit avoir plus de problèmes avec la population érythréenne qu’avec les Soudanais. Certains d’entre eux,  consommateurs de drogues et d’alcool, deviennent violents le soir. D’autres volent portables et bicyclettes, parfois pour les revendre dans une des rues adjacentes où les vendeurs ambulants s’alignent les uns à côté des autres. Dans cette famille de commerçants, le père est originaire d’Hébron, (Cisjordanie) et la mère est arrivée des Philippines en Israël il y a 34 ans de cela. Bien qu’elle se dise compatissante envers ces réfugiés, elle ne comprend pas pourquoi l’Etat israélien les laisse entrer sur le territoire « alors qu’il y a tant de chômeurs qui ne demandent qu’à venir travailler ici, de Ramallah, d’Hébron » et d’autres villes situées de l’autre côté du mur de « séparation ».

    La main-d’œuvre bon marché que représente les migrants africains et également asiatiques (dans le domaine, principalement, des services à la personne) est une réelle aubaine : au lieu de payer un travailleur israélien 40 shekels de l’heure, il est possible d’embaucher un migrant pour 20 à 25 shekels de l’heure ( (de 4,11 à 5,14€)… D’autant plus que légalement, ils ne peuvent plus travailler s’ils n’ont pas de visa. Cette situation explique également, d’après les habitants rencontrés à Hatikva, la récente montée de violence alors que beaucoup d’habitants sont sans emploi.

    Manifestation anti-migrants africains - 30/05/12 - Tentative d'argumentation Certains riverains, à Hatikva notamment, ont commencé à se mobiliser contre les migrants. L’une d’entre eux explique avoir écrit à la Knesset pour que le gouvernement « nettoie les rues du quartier ». Elle dit craindre pour sa sécurité et être importunée par les Erythréens qui vivent dans les maisons voisines.

    D’après un habitant du quartier, les migrants ne sont pas tous des réfugiés, certains viennent pour travailler, et priveraient ainsi les Israéliens de travail. Les différences de culture, de coutumes, le fait que la majorité soient des hommes, qu’ils abusent d’alcool ou de drogues explique selon lui le fait que la population riveraine craigne leur présence.

    La semaine dernière, dans ce même quartier, une manifestation contre les immigrants africains a violemment dégénéré, entraînant le saccage de plusieurs magasins dans la rue principale, le passage à tabac de deux hommes et l’arrestation de mineurs israéliens. Dans les rues adjacentes, la tension est toujours palpable : il est difficile de parler avec les migrants, certains craignant des représailles.

    Les manifestations sont censées continuer jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée par le gouvernement.

    Manifestation anti-migrants africains - 30/05/12La solution jusque-là proposée par le ministre de l’intérieur israélien Eli Yishai : l’enfermement et la déportation. Selon lui, « les infiltrés [africains] et avec eux les Palestiniens, mettront rapidement fin au rêve sioniste. » (Interview, journal Maariv) D’après le Procureur général Yehuda Weinstein, il n’y a de plus plus aucune raison de garder les migrants et réfugiés originaires du Sud-Soudan, la région étant à présent, selon lui, stable et sûre…

     

    Israël : terre refuge?

    Manifestation anti-migrants africains - 30/05/12Au travers des interviews de riverains et d’activistes, au travers des slogans lancés et l’attitude des manifestants à l’encontre des migrants rencontrés sur leur chemin durant la manifestation du mercredi 30 juin, un autre facteur apparaît ainsi. Les réfugiés d’origine africaine sont acceptés s’ils sont, à l’extrême limite, juifs éthiopiens, ces derniers étant également victimes de discriminations.  

    D’après un riverain rencontré à Hatikva, la population israélienne craint en effet que les migrants non juifs ne constituent la majorité de la population et que des discriminations à l’encontre des juifs ne commencent en Israël. L’Etat israélien doit rester un Etat juif.

    Selon la militante à l’origine de la « Soupe Levinsky », « ce n’est pas agréable à dire, mais les gens qui vivent en Israël veulent qu’Israël reste un Etat juif. Je ne sais pas pourquoi. Ils ne pensent pas aux autres personnes. C’est tordu. Comment expliquez-vous qu’Israël ait occupé [en Palestine] pendant tant de temps ? »

    D’après elle, « l’Holocauste a été tellement choquant que ce tout que nous en avons appris est : être fort… et raciste. ». Son père et ses grands–parents ont été eux-mêmes enfermés dans des camps de concentration durant la seconde guerre mondiale.

    Manifestation anti-migrants africains - 30/05/12D’après le Rapport Annuel sur le Racisme en Israël de 2012, publié par la Coalition contre le Racisme (CAR), les Palestiniens, les Ethiopiens, les Mizrahim (Juifs de l’est) et les travailleurs migrants sont les principales cibles des violences racistes. Environ 35 lois sont de plus jugées discriminantes contre les minorités ethniques et nationales par l’organisation.

    Depuis 2008 le nombre d’incidents n’a cessé d’augmenter, passant de 109 en 2008 à 510 pour les mois de mars 2011 à février 2012.

    La société israélienne est ainsi loin de représenter un idéal de communion de peuples de différentes origines fuyant les discriminations pour trouver paix et sérénité. Juifs d’Europe de l’est, Juifs éthiopiens, Arabes, réfugiés et migrants africains sont les cibles d'un racisme très profondément incrusté dans la société israélienne et violent dans ses manifestations légales, politiques, économiques et physiques.

     

    « Nous qui sommes les petits-enfants et arrière-petits-enfants de ces memes réfugiés et survivants [de l’Holocauste] devrions ressentir de l’empathie pour les réfugiés, qu’ils fuient les persécutions ou la faim. » écrit Michael Warschawski, historien et essayiste Israélien. La «  tradition juive est pleine de commandement sur l’amour envers l’étranger. Non seulement sur le fait de traiter quelqu’un avec dignité mais avec un réel amour ! »

     


    ***

    NB: Il a été difficile de différencier sur le terrain les migrants disposant d'un statut de réfugié et ceux venus pour travailler. Je n'ai de plus pas eu l'intention objective de les différencier sachant que tous les migrants rencontrés, statut de réfugié ou pas, viennent de pays actuellement en guerre ou sont victimes de lourdes discriminations et/ou menacés dans leur pays d'origine. De toute évidence, le statut de réfugié n'est pas respecté en Israël. Les deux termes (migrants et réfugiés) sont donc employés indifféremment dans cet article.

    Photos: ici

    Liens:

    - ASSAF, organisation pour les réfugiés en Israël

    - Kav Loaved, organisation pour les travailleurs israéliens, palestiniens et étrangers en Israël et dans les colonies

    - African Workers Union in Israel

    - The Hotline for Migrant Workers

    - Ha Aretz newspaper: "Israeli minors charged with robbing, beating African migrants in Tel Aviv", 31/05/12

    - Ha Aretz newspaper: "Eli Yishai: Israeli women afraid to report rape by African migrants due to AIDS stigma", 31/05/12

    - Fight racism:  "The main findings of the 2012 Racism in Israel Report"


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  • Source: BDS, Boycott, Desinvestissement, Sanctions 

    Les artistes ont joué un rôle clé pour isoler le régime d’apartheid en Afrique du Sud dans les années 1980, alors même que les gouvernements occidentaux poursuivaient leurs relations diplomatiques et économiques, dans une complicité criminelle. Aujourd’hui encore, il est trop tôt pour attendre de nos gouvernements de mettre Israël au ban des nations, ou même au banc des accusés ! Mais les artistes peuvent et doivent montrer la voie, suivis par les citoyens que nous sommes tous, pour qu'enfin cesse l'oppression du peuple palestinien.
    Un article de Dror sur http://www.contretemps.eu/interventions/boycott-oui-culturel-aussi


    La campagne  BDS


    Face à la campagne de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) contre l’Etat d’Israël, pour le forcer à respecter le droit international et les droits humains des Palestiniens, même les défenseurs d’Israël en sont réduits à demander : « Pourquoi ne boycotter que Israël et pas aussi les autres pays qui ne respectent pas non plus le droit international ? ». Au-delà de l’argument d’efficacité, la justification principale de cette stratégie (car le BDS est avant tout une stratégie) est qu’elle répond à un appel à la solidarité qui nous vient des Palestiniens eux-mêmes, depuis 2005[1]. Ce sont eux qui, aujourd’hui, nous demandent de mettre en œuvre cette campagne, et qui en définissent les contours.

    Si BDS recueille un soutien populaire grandissant, c’est que l’opinion publique a fini par se lasser du « processus de paix » promis par nos dirigeants et jamais mis en place. Face à l’impuissance, si ce n’est à la collaboration active des gouvernements occidentaux dans la colonisation de la Palestine, la Campagne BDS[2] est une initiative non-violente dont peuvent s’emparer toutes les personnes solidaires du peuple palestinien, chacune à sa façon, en tant que militants politiques, consommateurs, professeurs, artistes, sportifs ou autres. La popularité de cette approche résulte également de sa résonance avec le boycott contre l’apartheid en Afrique du Sud dans les années 1980. Le succès historique de cette campagne est une source d’inspiration pour les Palestiniens qui espèrent voir une solidarité similaire se mettre en place dans le monde entier.


    Critiques du boycott culturel


    Certains voudraient voir la campagne BDS se limiter aux biens de consommation, et en exclure l’art et la culture. Examinons les arguments en faveur d’une telle position, qui sont souvent les mêmes dans les domaines culturels et universitaires. Ils relèvent de quelques préjugés pourtant régulièrement démentis par des faits aisément vérifiables : le premier d'entre eux est que ce type de boycott va nous couper des artistes et des universitaires israéliens, pourtant les plus progressistes de leur société. L’appel au boycott, tel que défini par les Palestiniens, ne concerne que les institutions de l’Etat israélien, pas les individus. La campagne BDS n’empêche donc pas les rencontres avec des artistes israéliens, en particulier s’ils sont progressistes, pour faire avancer nos causes communes. Néanmoins, contrairement aux idées reçues, ces artistes, universitaires et intellectuels israéliens progressistes sont peu nombreux et ostracisés par leurs collègues qui, dans leur écrasante majorité, font corps avec les politiques d’occupation, de colonisation et de discrimination de leur gouvernement. D’aucuns pourraient donc, au contraire, attendre des intellectuels, comme lors de la lutte contre l’apartheid sud-africain, d’être à l’avant-garde de la prise de conscience humaine et politique de la détresse palestinienne. Dans ce cas, la campagne de pression internationale devrait porter en premier lieu sur les artistes et universitaires israéliens, plutôt que de les laisser dans leurs tours d’ivoire.

    Un autre préjugé, qui dépasse le cadre moyen-oriental, affirme qu’on ne peut pas mélanger l’Art et la politique. Vraiment ? Les artistes israéliens ne sont-ils pas également des citoyens israéliens ? Leur art n’est-il pas influencé par la situation géopolitique et humaine dans laquelle ils se trouvent ? Et si ce n’est pas le cas, n’est-ce pas un luxe que la colonisation leur procure, mais qui est interdit aux artistes palestiniens ? Si l’on ne peut pas mélanger l’art et la politique alors pourquoi les artistes palestiniens sont-ils discriminés, en tant que Palestiniens, mais aussi en tant qu’artistes, avec moins d’accès aux ressources financières pour créer et diffuser leurs œuvres ? La culture est tellement politique que des artistes et intellectuels tels que Ghassan Kanafani ou Naji Al Ali furent assassinés par les services secrets israéliens, et que Annemarie Jacir, Cat Stevens ou Noam Chomsky se sont vus refuser le droit d’entrer en Israël.


    La culture comme arme de guerre


    L’art est tellement politique que l’Etat d’Israël l’utilise de plus en plus pour tenter de redorer son blason terni par le sang des 1400 Gazaouis massacrés en 2009 ou des 9 Turcs assassinés en 2010. Il finance profusion de festivals de littérature israélienne, d’évènements autour de l’anniversaire de Tel-Aviv, de tournées de troupes nationales de danse, etc. Cette campagne de marketing consiste à jeter de la poudre culturelle aux yeux du grand public, pour se donner une image positive, cultivée, moderne, « normale » en quelque sorte... Mais si Israël veut être traité comme un Etat « normal », il doit renoncer à l’impunité dont il bénéficie aujourd’hui. Tant que ce ne sera pas le cas, il sera montré du doigt, et aucun festival n’y changera quoi que ce soit.


    Mise en œuvre du boycott culturel


    L'appel palestinien définit très bien le cadre dans lequel le boycott culturel contre l’Etat israélien doit être mis en œuvre. Puisqu'il s'agit d'un boycott institutionnel, les Palestiniens ne nous demandent pas de boycotter des individus ou des groupes d'artistes en raison de leur nationalité israélienne. C’est donc, pour le moment, un boycott “doux”, contrairement au boycott de l’Afrique du Sud qui s’étendait également aux artistes, à titre individuel. En second lieu, le boycott ne s'applique aux évènements culturels en dehors d'Israël que s'ils sont financés ou soutenus par une agence gouvernementale israélienne (ministère, ambassade, consulat...), ou explicitement sioniste (le Fond National Juif, ou KKL, par exemple).


    Les artistes


    A titre individuel, un artiste peut simplement refuser de se produire en Israël, mais c’est à titre collectif que le boycott prend tout son sens politique : lorsque cette décision est rendue publique et qu’elle s’accompagne d'autres initiatives semblables. Depuis les bombardements sur Gaza, ce mouvement prend une ampleur considérable et il n'est pas une semaine sans qu'on apprenne qu'un artiste de premier plan annule un voyage prévu en Israël, profitant parfois de l'occasion pour écrire de véritables pamphlets dénonçant les conditions dans lesquelles vivent les Palestiniens. Rien que pour l’année 2010, les acteurs Meg Ryan et Dustin Hoffman, le metteur en scène Mike Leigh[3], les écrivains Henning Mankell, Iain Banks[4] et Alice Walker[5], les musiciens Carlos Santana, Devendra Banhart[6], Tommy Sands, Elvis Costello[7], Gil Scott-Heron, Annie Lennox[8] et les groupes The Klaxons, Gorillaz, The Pixies, Leftfield, Faithless[9], Tindersticks et Massive Attack[10] ont renoncé à se rendre en Israël !

    Plus de 500 artistes montréalais[11] réunis dans la première des organisations « Artists Against Apartheid », plus de 150 artistes irlandais[12] et une centaine d’intellectuels norvégiens[13] se sont également engagés par écrit à boycotter Israël. Ils rejoignent ainsi des cinéastes (Ken Loach, Jean-Luc Godard...), des musiciens (Roger Waters, Brian Eno, Gilles Vigneault, Lhasa…), ou des écrivains de tous les pays (l'Uruguayen Eduardo Galeano, l'Indienne Arundhati Roy, le Sud-africain Andre Brink, la Canadienne Naomi Klein, le Brésilien Augusto Boal, l'Italien Vincenzo Consolo, l'Anglais John Berger, les Américaines Adrienne Rich, Sarah Schulman ou Judith Butler...).


    Les citoyens


    Pour ce qui est des évènements qui se déroulent en Israël, les militants ou les citoyens peuvent tenter de convaincre les artistes ressortissants de leurs pays de ne pas y participer et, si possible, de rendre leur décision publique. Dans le cas de Leonard Cohen, les nombreux courriers envoyés n’avaient pas réussi à lui faire annuler sa tournée en Israël en 2009, mais elles ont convaincu Amnesty International qui avait, au départ, prévu de s'associer à ces concerts, de se retirer de cette farce pseudo humanitaire et indirectement pro-gouvernementale[14].

    Pour ce qui est des évènements qui se déroulent dans le reste du monde, le boycott doit s'attaquer à la stratégie israélienne de tentative d'amélioration de son image de marque internationale (le « rebranding »). Un festival de cinéma fera-t-il oublier les massacres et le blocus de Gaza ? Une exposition de peinture blanchira-t-elle l'assaut meurtrier de la Flottille de la Liberté ? La décision de participer ou de ne pas participer à ces manifestations culturelles revêt désormais un sens politique, car elle est identifiée comme un soutien ou comme une dénonciation de l'Etat d'Israël et de sa politique d’oppression. A titre individuel, le spectateur responsable refusera donc d'y collaborer ! A titre collectif, le citoyen responsable tentera d’élargir le soutien à la campagne de boycott, en revendiquant sa position, voire en la publiant. Le but de la campagne BDS n'est-il pas aussi de reprendre la parole dans les médias ? De parler de la Palestine et, qui plus est, d'en parler avec nos termes ?


    Boycott de l’intérieur [15]


    Si certains en France pensent que le boycott devrait se limiter aux produits de consommation et ne pas s’étendre à l’art, à l’éducation et à la culture, en Israël, paradoxalement, c’est le contraire qui se produit. Alors que seul un petit groupe d’Israéliens est convaincu par le boycott économique, une coalition beaucoup plus large, de 150 personnalités, universitaires, écrivains, artistes et acteurs israéliens a signé l'été dernier une pétition appelant à boycotter les manifestations culturelles et universitaires dans les colonies des territoires occupés depuis 1967[16]. Aux côtés d’intellectuels connus pour leur engagement contre l’occupation, tels Niv Gordon, Gideon Levy ou Shlomo Sand, on trouve des personnalités généralement plus discrètes comme l’historien Zeev Sternhell ou les célèbres écrivains David Grossman, A.B. Yehoshua et Amos Oz. Tandis qu’ils étaient sévèrement critiqués par le gouvernement israélien, ces personnalités israéliennes ont reçu une lettre de soutien de 150 autres artistes[17], principalement américains et anglais, dont Vanessa Redgrave, Cynthia Nixon ou Tony Kushner. Au-delà de ce coup d’éclat récent, les Palestiniens en appellent aux artistes israéliens progressistes de ne pas participer à des évènements culturels, festivals ou expositions financés par le gouvernement israélien. Certains, tel le cinéaste Eyal Sivan, le musicien Gilad Atzmon, l’éditrice Yaël Lerer ou l'écrivain Aharon Shabtai, se conforment à cet engagement moral.

    Si nous dénonçons les discriminations que subissent les Palestiniens et, singulièrement, les artistes palestiniens, notre rôle est aussi de lutter contre cette discrimination. Car la politique israélienne, au-delà d’un simple favoritisme budgétaire, tente d’éteindre la résistance palestinienne en niant sa culture. Dans un contexte d’occupation coloniale, l’art palestinien contemporain est éminemment influencé par la situation politique. L’art palestinien est politique, et comment pourrait-il en être autrement ? La poésie de Mahmoud Darwish est politique, les écrits d'Edward Saïd ou de Ghassan Kanafani sont politiques, l’art plastique d’Emily Jacir est politique, les films de Michel Khleifi sont politiques, etc. A travers l’art de ces femmes et de ces hommes, ce sont l’histoire, la vie, les revendications et les souffrances des Palestiniens qu’on apprend à mieux connaître. A travers la musique « classique » de Rim Banna, du Trio Joubran ou de Kamilya Jubran, autant qu'à travers le rap de DAM, Ramallah Underground ou Shadia Mansour, c’est une culture vivante qui s’exprime et qui tente de nous transmettre une vérité qu’on ne lit pas dans les journaux. Au-delà du boycott des institutions culturelles israéliennes, il est donc également important d’écouter ce que les artistes palestiniens ont à nous dire…


    Conclusion


    Rappelons que le droit international exige de l’Etat israélien qu'il mette fin à l'occupation des terres arabes et au blocus de Gaza, qu'il démantèle le Mur de séparation, qu'il cesse toute discrimination basée sur l'origine ethnique ou religieuse et qu'il respecte le droit au retour des réfugiés palestiniens dans leurs villages.

    On aurait souhaité que « les deux parties » négocient une paix juste, mais l’histoire démontre que le dominant ne cède jamais de bon cœur aux exigences, même légitimes, du dominé. Pour que le colonisateur cesse de coloniser, il faut que le prix que lui coûte la colonisation soit plus élevé que celui qu’elle lui rapporte. Ce « prix » aujourd’hui ne se mesure pas en vies humaines, ni même en monnaie sonnante et trébuchante. Le prix que nous tentons de faire payer à l’Etat d’Israël est celui de sa réputation, en le montrant du doigt. La pression exercée par le boycott en général, et le boycott culturel en particulier, ne vise pas à ruiner les Israéliens, ni même à les priver de tout accès à la culture, elle ne vise qu’à rétablir la justice. La campagne BDS cessera lorsqu’Israël respectera, au minimum, les résolutions de l’ONU et de la Cour Internationale de Justice.

    Les artistes ont joué un rôle clé pour isoler le régime d’apartheid en Afrique du Sud dans les années 1980, alors même que les gouvernements occidentaux poursuivaient leurs relations diplomatiques et économiques, dans une complicité criminelle. Aujourd’hui encore, il est trop tôt pour attendre de nos gouvernements de mettre Israël au ban des nations, ou même au banc des accusés ! Mais les artistes peuvent et doivent montrer la voie, suivis par les citoyens que nous sommes tous, pour qu'enfin cesse l'oppression du peuple palestinien.

    Dror

    [1] Appel des Palestiniens au BDS contre Israël : http://bdsmovement.net/?q=node/52#French

    [2] Relais français de la campagne BDS internationale : http://www.bdsfrance.org/

    [3] Déclaration de Mike Leigh :
    http://artsbeat.blogs.nytimes.com/2010/10/18/war-of-words-after-mike-leigh-cancels-israeli-trip/?ref=movies

    [4] Déclaration de Iain Banks :
    http://www.guardian.co.uk/world/2010/jun/03/boycott-israel-iain-banks

    [5] Déclaration de Alice Walker : http://electronicintifada.net/v2/article11319.shtml

    [6] Déclarations de Devendra Banhart et de Tommy Sands :
    http://english.pnn.ps/index.php?option=com_content&task=view&id=8365&Itemid=56

    [7] Déclaration d'Elvis Costello :
    http://www.elviscostello.com/news/it-is-after-considerable-contemplation/44

    [8] Déclaration d’Annie Lennox :
    http://www.haaretz.com/culture/annie-lennox-i-have-no-interest-in-going-to-israel-1.318380?localLinksEnabled=false

    [9] Déclaration de Maxi Jazz, de Faithless : http://www.maxijazz.co.uk/Welcome.htm

    [10] Déclaration de Robert Del Naja, de Massive Attack :
    http://www.newstatesman.com/music/2010/09/israel-interview-boycott-naja

    [11] 500 artistes montréalais contre l’apartheid israélien : http://www.tadamon.ca/post/5824

    [12] 150 artistes irlandais s'engagent à boycotter Israël : http://www.ipsc.ie/pledge/

    [13] 100 intellectuels norvégiens : http://akulbi.net/

    [14] Déclaration d’Amnesty International à propos de la tournée de Leonard Cohen :
    http://www.france-palestine.org/article12450.html

    [15] Relais israélien de la campagne de boycott : http://boycottisrael.info/

    [16] 150 artistes israéliens boycottent les colonies israéliennes :
    http://www.haaretz.com/print-edition/news/150-academics-artists-back-actors-boycott-of-settlement-arts-center-1.311149

    [17] 150 artistes américains et anglais soutiennent les 150 artistes israéliens :
    http://jvp.org/campaigns/making-history-support-israeli-artists-who-say-no-normalizing-settlements-4


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  • Sam et Mahmoud

    Sam est une tatouée au sens propre comme au figuré. Elle parle avec passion de féminisme, d'anarchisme, de la Palestine dont elle a fait sa maison. Quand je suis arrivée ici, elle accompagnait parfois le camp touristique politique que j'ai suivi en guise d'entraînement. On a tout de suite accroché et on est tout de suite devenues les deux folles du camp qui partent en fou rire pour rien. Cela fait deux ans qu'elle vient en Palestine et en guise de partage d'expérience, elle m'a tout de suite mise en garde contre les Palestiniens et leurs techniques de drague désastreuses:

    "Ils ont trois techniques d'approche:

    1/ "Je suis un pauvre refugié, on n'a pas d'eau ni d'électricité." Dans les camps, ils ont les deux, il y a des coupures, mais comme partout.

    2/ "J'ai été en prison pendant deux ans, je n'ai rien dit, je n'ai jamais avoué donc maintenant je suis un héros, et/ou tu veux voir mes muscles?" Tous les Palestiniens ont plus ou moins été en prison, et ce sont toujours plus ou moins les mêmes histoires.

    3/ D'une manière générale: " je suis un pauvre Palestinien et je suis émue par ton travail ici. Je peux pleurer sur ton épaule?"" 

    "La plupart du temps deux secondes après t'avoir parlé, ils sont amoureux fous. Il faudrait leur faire suivre des ateliers: "Comment draguer une internationale sans la faire fuir?""

    (Ces conseils ce sont avérés précieux et toute volontaire pour participer à l'animation de ces ateliers est la bienvenue.)

     

    J'ai découvert après qu'un Palestinien avait tout de même réussi à l'attraper. Mais Mahmoud n'utilise aucune des techniques citées plus haut. Il m'a d'ailleurs également prodigué de précieux conseils, du genre "Ce gars-là vient juste ici pour pêcher…".

    Mahmoud fume comme un pompier et ne peut pas grimper deux étages sans souffler et devenir rouge. Il danse pourtant la Dabka – danse traditionnelle palestinienne – comme un diable et quand il la guide, les autres n'ont qu'à s'accrocher. Mais il lui faut dix minutes – et plus – pour se remettre de cinq minutes de danse.

    Leurs fiançailles ont eu lieu, officieusement, un mois environ après mon arrivée.

    "Sam, on doit parler. J'ai un projet, mais il va falloir discuter organisation et surtout recherche de financements…"

    -Tu es en train de me demander en mariage ?"

    -Oui."

    Voilà pour la demande. Simple et concise. Directe. Rapide. En un mot, efficace. L'annonce de cette décision à ses parents a été beaucoup moins rapide. Cela a pris trois mois et de multiples relances par Sam. Je vous passerai toutes leurs discussions, Mahmoud attendant que ses parents partent faire leur pèlerinage à la Mecque, puis qu'ils rentrent de la Mecque et puis que… Bref, au bout de trois mois, Mahmoud l'a enfin annoncé à ses parents. Ils ont d'abord eu l'air de penser que c'était une blague. Le père de Mahmoud se cachait dans son keffieh pour rire en voyant la bague de fiançailles au doigt de Mahmoud. Mais au moins ils savent, maintenant ils peuvent faire des projets.

    Une réserve cependant:

    « Tu sais, il y a un écart culturel entre toi et Sam, dit la sœur de Mahmoud.

    - Je sais, mais on en est conscients tous les deux. Et on s'adapte l'un à l'autre. Ça marche. 

    -Ha d'accord. Mais bon il y a toujours un problème...

    - Quoi?

    - Elle est plus grande que toi. »

    La solution: Mahmoud a juste interdit l'usage des talons à Sam qui a décidé qu'elle en mettrait seulement quand Mahmoud n'est pas dans les parages. Ce qu'on ne dit pas à ce dernier c'est que même sans talons…

     

    Se marier avec un Palestinien, c'est ce qu'on pourrait appeler s'investir corps et âme dans une cause… Sam a laissé derrière elle l'Angleterre, avec joie, et tient vraiment à s'installer ici.

    "J'ai bien insisté auprès de sa mère: je n'ai pas l'intention de lui voler son fils pour l'emmener à tout jamais en Europe."

    La famille parle déjà enfants, on blague sur ses futurs neuf bambins qui auront tous le popotin de Mahmoud, surnommé AbuTees, le père des fesses. 

    "Imagine s'ils sont blonds… il faudra que je leur teigne les cheveux à chaque visite dans la famille." "Non mais j'aimerais qu'ils se calment autour de mon utérus… Les enfants, ce ne sera pas avant deux ou trois ans. Ils vont commencer à s'inquiéter mais tant pis… Et puis ce ne sera pas neuf mais trois maximum, je n'ai pas envie d'avoir l'appareil génital ravagé à cinquante ans. Sa mère se porte bien mais elle ne peut plus faire sa prière autrement que sur une chaise."

     

    Pour se marier, elle s'est convertie à l'Islam, surtout, je crois, pour faciliter les relations avec le père de Mahmoud dont la première question a été : "Elle est musulmane?". Dans le tribunal islamique, impossible de rire, port du Hijab obligatoire… "Vous avez des cheveux qui dépassent…" "Combien elle veut en or pour le mariage? Et combien en cas de divorce?" En bref, un parcours difficile quand on est anglaise… et athéiste convaincue. Mais au lieu de signer le document officiel stipulant qu'il ny a d'autre Dieu qu'Allah, suite  une faute à une faute de frappe, Sam a signé : "il n'y a pas de Dieu"... Petite victoire...

    En attendant que le mariage soit officiel, Houssam, le frère de Mahmoud et leurs sœurs, jouaient à qui organiseraient la plus grosse fête. Sam a tout de même réussi à en faire baisser la durée à deux jours au lieu de trois, à choisir sa robe, sa coiffure et son maquillage… Enfin presque. La robe, oui elle l'a choisie… Quant au maquillage, aux ongles et à la coiffure, non, pas vraiment. Elle a eu beau montrer des photos de ce qu'elle voulait, elle a eu droit en réponse à: "Non mais mademoiselle, ça ne va pas leur plaire. Il faut que ça soit plus brillant, plus gros!" Elle a fini par cesser de se battre et à laisser libre court à l'inspiration de ses tortionnaires – ou des gardiens du style palestinien suivant le point de vue. Le résultat était, heureusement pour Sam, loin d'arriver au niveau du mariage palestinien typique: "Elle n'est pas bien maquillée pour une mariée… C'est bizarre" a déclaré la mère de Mahmoud… Ce n'était apparemment pas encore assez brillant…

     

    Ce genre de considérations ont l'air superficiel, pourtant se marier à un Palestinien n'a rien d'une sinécure.

    « Je n'ai pas choisi d'être là. Je me suis embarquée dans une histoire faite de demande de visa, d'écarts culturel et linguistique parce que je suis une internationale. Ce n'est pas exactement ce que ma mère aurait voulu pour moi. Mais quand ça a commencé, ça n'a pas été un choix. Juste: « Pourquoi pas lui? Pourquoi pas ici? C'est chez moi ici... ». »

    Se marier à un Palestinien et choisir, comme Sam y pense sérieusement, de prendre la nationalité palestinienne ça ne signifie pas que la vie sera bien plus facile qu'avant. Si elle prend la nationalité palestinienne, ça signifie qu'elle aura la même que celle de Mahmoud: la verte, celle qui interdit d'aller à Jerusalem. Ça signifie aussi se battre pour avoir des papiers pour ses enfants. Ça signifie être victime de la même discrimination que celle que subissent tous les Palestiniens.

    "Heureusement je garderai mes passeports anglais et américains. J'essaierai de faire obtenir la nationalité anglaise à mes enfants et à Mahmoud aussi. Si jamais il y a un problème…"

    Heureusement, la famille de Sam la soutient: "Ma famille veut offrir une chèvre à la famille de Mahmoud. Ils sont en train de récolter de l'argent. Je veux vraiment leur amener la chèvre avec un chapeau sur la tête… Peut-être qu'on peut même l'emballer dans du papier cadeau, avec un gros nœud sur la queue. Ils me prennent déjà pour une folle dans la famille. Un peu plus, un peu moins…"


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  •  Voyage

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  • L'auberge palestinienne

     

     

     

    Notre appartement est un grand appartement de deux chambres, deux salles de bain, une grande cuisine ouverte sur la table à manger et le salon, et dans un coin, un lit, dont l'espace a été fermé d'un rideau. Il est percé de fenêtres sur tous les côtés et ouvre sur une grande terrasse sur laquelle se trouvent les tanks d'eau et le fil à linge. Tout d'abord il y a eu Mahmoud et Sam, puis Manu et moi. Manu et parti. Enrica est arrivée avec Basile. Mahmoud et Sam se sont mariés, ils sont partis avec le chat, Goonie, folle et très sympathique (même si elle ne faisait plus l'unanimité sur la fin). Luca est arrivé et a pris le lit du coin. Cet appartement a souvent été en bazard, mais le frigo était le plus souvent plein, tout le monde a cuisiné à un moment ou à un autre: Sam et ses gratins pas diététiques mais à grimper aux rideaux, Enrica et son koshary, Luca et ses pâtes, moi et ma ratatouille et mon poulet au lait et Manu… sur le canapé. Avec Sam, on parlait le plus souvent de nourriture, de ce qui nous manquait d'Europe, comme le fromage ou le bon vin, parce que le vin palestinien, honnêtement, c'est de la piquette! Sam est obsédée par la nourriture, surtout par un certain sandwich bacon/avocat… Alors quand ma mère nous a envoyé du fromage pour Noël, nos papilles ont entonné un vibrant hymne à la joie et le fromage a été dégusté (ou englouti) en une soirée.

    Cette colloc a été celle des petits déjeuner tardifs aux noodles, des gros repas de Noël, de la sangria du nouvel an, du chat qui vraiment faisait n'importe quoi, des coupures d'eau, des voisins qui beuglent sans cesse d'un étage à l'autre et lavent les escaliers et la cour à grande eau (ce qui explique les coupures…), des coupures d'électricité le soir de Noël qui ont bien failli nous empêcher de déguster les gratins, de l'accumoncellement de couvertures l'hiver et des ventilateurs l'été, des instants thé, des soirées film et des discussions sans fin. Les habitants plus ou moins permanents de cet appartement, Enrica, Sam, Mahmoud, Ahmad, moi, Basile, sont devenus, comme le dit ce dernier, une famille. La petite famille palestinienne et ses cousins qui passent pour un soir ou une semaine: Marco, Mariza, Joe, Yohanna et Leonnie, Maria, tous avec une histoire particulière, des projets différents, en visite pour la première fois dans le pays ou routards de longue date. Mariza par exemple, italienne, professeure d'art à l'université qui voyageait à vélo en Palestine, faisait des reportages filmés sur les mouches dans la vallée du Jourdain (on a pas dû tout suivre) et est restée une semaine au lieu d'une nuit comme prévu au départ.

    C'est dans cet appartement que j'ai vécu pendant 5 mois de rire, d'échange de bouquins, de musique, de passions, bien trop de choses pour que je puisse vous en faire une liste exhaustive. 5 mois où on a partagé bien plus que les factures. La famille s'est agrandie au fur et à mesure des déménagements et des emménagements. Bref, cette famille a été un cocon toujours en mutation mais toujours douillet… 

    Voyage

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