• A une semaine de faire ma valise ... (3)

    Sam et Mahmoud

    Sam est une tatouée au sens propre comme au figuré. Elle parle avec passion de féminisme, d'anarchisme, de la Palestine dont elle a fait sa maison. Quand je suis arrivée ici, elle accompagnait parfois le camp touristique politique que j'ai suivi en guise d'entraînement. On a tout de suite accroché et on est tout de suite devenues les deux folles du camp qui partent en fou rire pour rien. Cela fait deux ans qu'elle vient en Palestine et en guise de partage d'expérience, elle m'a tout de suite mise en garde contre les Palestiniens et leurs techniques de drague désastreuses:

    "Ils ont trois techniques d'approche:

    1/ "Je suis un pauvre refugié, on n'a pas d'eau ni d'électricité." Dans les camps, ils ont les deux, il y a des coupures, mais comme partout.

    2/ "J'ai été en prison pendant deux ans, je n'ai rien dit, je n'ai jamais avoué donc maintenant je suis un héros, et/ou tu veux voir mes muscles?" Tous les Palestiniens ont plus ou moins été en prison, et ce sont toujours plus ou moins les mêmes histoires.

    3/ D'une manière générale: " je suis un pauvre Palestinien et je suis émue par ton travail ici. Je peux pleurer sur ton épaule?"" 

    "La plupart du temps deux secondes après t'avoir parlé, ils sont amoureux fous. Il faudrait leur faire suivre des ateliers: "Comment draguer une internationale sans la faire fuir?""

    (Ces conseils ce sont avérés précieux et toute volontaire pour participer à l'animation de ces ateliers est la bienvenue.)

     

    J'ai découvert après qu'un Palestinien avait tout de même réussi à l'attraper. Mais Mahmoud n'utilise aucune des techniques citées plus haut. Il m'a d'ailleurs également prodigué de précieux conseils, du genre "Ce gars-là vient juste ici pour pêcher…".

    Mahmoud fume comme un pompier et ne peut pas grimper deux étages sans souffler et devenir rouge. Il danse pourtant la Dabka – danse traditionnelle palestinienne – comme un diable et quand il la guide, les autres n'ont qu'à s'accrocher. Mais il lui faut dix minutes – et plus – pour se remettre de cinq minutes de danse.

    Leurs fiançailles ont eu lieu, officieusement, un mois environ après mon arrivée.

    "Sam, on doit parler. J'ai un projet, mais il va falloir discuter organisation et surtout recherche de financements…"

    -Tu es en train de me demander en mariage ?"

    -Oui."

    Voilà pour la demande. Simple et concise. Directe. Rapide. En un mot, efficace. L'annonce de cette décision à ses parents a été beaucoup moins rapide. Cela a pris trois mois et de multiples relances par Sam. Je vous passerai toutes leurs discussions, Mahmoud attendant que ses parents partent faire leur pèlerinage à la Mecque, puis qu'ils rentrent de la Mecque et puis que… Bref, au bout de trois mois, Mahmoud l'a enfin annoncé à ses parents. Ils ont d'abord eu l'air de penser que c'était une blague. Le père de Mahmoud se cachait dans son keffieh pour rire en voyant la bague de fiançailles au doigt de Mahmoud. Mais au moins ils savent, maintenant ils peuvent faire des projets.

    Une réserve cependant:

    « Tu sais, il y a un écart culturel entre toi et Sam, dit la sœur de Mahmoud.

    - Je sais, mais on en est conscients tous les deux. Et on s'adapte l'un à l'autre. Ça marche. 

    -Ha d'accord. Mais bon il y a toujours un problème...

    - Quoi?

    - Elle est plus grande que toi. »

    La solution: Mahmoud a juste interdit l'usage des talons à Sam qui a décidé qu'elle en mettrait seulement quand Mahmoud n'est pas dans les parages. Ce qu'on ne dit pas à ce dernier c'est que même sans talons…

     

    Se marier avec un Palestinien, c'est ce qu'on pourrait appeler s'investir corps et âme dans une cause… Sam a laissé derrière elle l'Angleterre, avec joie, et tient vraiment à s'installer ici.

    "J'ai bien insisté auprès de sa mère: je n'ai pas l'intention de lui voler son fils pour l'emmener à tout jamais en Europe."

    La famille parle déjà enfants, on blague sur ses futurs neuf bambins qui auront tous le popotin de Mahmoud, surnommé AbuTees, le père des fesses. 

    "Imagine s'ils sont blonds… il faudra que je leur teigne les cheveux à chaque visite dans la famille." "Non mais j'aimerais qu'ils se calment autour de mon utérus… Les enfants, ce ne sera pas avant deux ou trois ans. Ils vont commencer à s'inquiéter mais tant pis… Et puis ce ne sera pas neuf mais trois maximum, je n'ai pas envie d'avoir l'appareil génital ravagé à cinquante ans. Sa mère se porte bien mais elle ne peut plus faire sa prière autrement que sur une chaise."

     

    Pour se marier, elle s'est convertie à l'Islam, surtout, je crois, pour faciliter les relations avec le père de Mahmoud dont la première question a été : "Elle est musulmane?". Dans le tribunal islamique, impossible de rire, port du Hijab obligatoire… "Vous avez des cheveux qui dépassent…" "Combien elle veut en or pour le mariage? Et combien en cas de divorce?" En bref, un parcours difficile quand on est anglaise… et athéiste convaincue. Mais au lieu de signer le document officiel stipulant qu'il ny a d'autre Dieu qu'Allah, suite  une faute à une faute de frappe, Sam a signé : "il n'y a pas de Dieu"... Petite victoire...

    En attendant que le mariage soit officiel, Houssam, le frère de Mahmoud et leurs sœurs, jouaient à qui organiseraient la plus grosse fête. Sam a tout de même réussi à en faire baisser la durée à deux jours au lieu de trois, à choisir sa robe, sa coiffure et son maquillage… Enfin presque. La robe, oui elle l'a choisie… Quant au maquillage, aux ongles et à la coiffure, non, pas vraiment. Elle a eu beau montrer des photos de ce qu'elle voulait, elle a eu droit en réponse à: "Non mais mademoiselle, ça ne va pas leur plaire. Il faut que ça soit plus brillant, plus gros!" Elle a fini par cesser de se battre et à laisser libre court à l'inspiration de ses tortionnaires – ou des gardiens du style palestinien suivant le point de vue. Le résultat était, heureusement pour Sam, loin d'arriver au niveau du mariage palestinien typique: "Elle n'est pas bien maquillée pour une mariée… C'est bizarre" a déclaré la mère de Mahmoud… Ce n'était apparemment pas encore assez brillant…

     

    Ce genre de considérations ont l'air superficiel, pourtant se marier à un Palestinien n'a rien d'une sinécure.

    « Je n'ai pas choisi d'être là. Je me suis embarquée dans une histoire faite de demande de visa, d'écarts culturel et linguistique parce que je suis une internationale. Ce n'est pas exactement ce que ma mère aurait voulu pour moi. Mais quand ça a commencé, ça n'a pas été un choix. Juste: « Pourquoi pas lui? Pourquoi pas ici? C'est chez moi ici... ». »

    Se marier à un Palestinien et choisir, comme Sam y pense sérieusement, de prendre la nationalité palestinienne ça ne signifie pas que la vie sera bien plus facile qu'avant. Si elle prend la nationalité palestinienne, ça signifie qu'elle aura la même que celle de Mahmoud: la verte, celle qui interdit d'aller à Jerusalem. Ça signifie aussi se battre pour avoir des papiers pour ses enfants. Ça signifie être victime de la même discrimination que celle que subissent tous les Palestiniens.

    "Heureusement je garderai mes passeports anglais et américains. J'essaierai de faire obtenir la nationalité anglaise à mes enfants et à Mahmoud aussi. Si jamais il y a un problème…"

    Heureusement, la famille de Sam la soutient: "Ma famille veut offrir une chèvre à la famille de Mahmoud. Ils sont en train de récolter de l'argent. Je veux vraiment leur amener la chèvre avec un chapeau sur la tête… Peut-être qu'on peut même l'emballer dans du papier cadeau, avec un gros nœud sur la queue. Ils me prennent déjà pour une folle dans la famille. Un peu plus, un peu moins…"


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