• Bienvenu(e)s en Israël, sous condition.

    (Enregistrement du 30 mai 2012, manifestation anti-migrants, quartier de Shapira, Tel Aviv)

     

    Manifestation anti-migrants africains - 30/05/12

    La femme qui appelle au respect dans cet enregistrement est éthiopienne et vit dans le quartier de Shapira, au sud de Tel Aviv. Alors qu’elle rentre chez elle, des manifestants anti-immigrés scandant « Soudanais au Soudan » ou « Brûlez les Soudanais » l’accostent et commencent à l’insulter, la traitant notamment de « gorille ».

    « Ce sont des djihadis, proclame une manifestante, payés 2000 dollars par le gouvernement américain pour venir en Israël. »

    Une vingtaine puis, peu à peu, près de deux cents Israéliens manifestent ainsi ce mercredi (30 juin 2012) autour de la station de bus centrale. Cette manifestation fait suite aux violences de la semaine dernière, lors d’une autre « haganah » (manifestation en hébreu), dans le quartier d’Hatikva, de l’autre côté de l’autoroute. Dans ces deux quartiers, une population immigrée d’origine africaine a depuis deux ans environ afflué en grand nombre du Soudan et d’Erythrée et la tension monte parmi la population israélienne. Suite à des rumeurs de viol supposément commis par des Soudanais à l’encontre de jeunes filles juives, hommes politiques et mouvements d’extrême droite (incluant des colons israéliens illégalement implantés en Cisjordanie) se sont lancés dans une lutte violente contre les migrants africains.

    Ce discours et ces manifestations, extrêmement brutaux, soulèvent de nombreuses questions sur les causes d’un tel déferlement de violence. Crise sociale, arrivée massive de migrants depuis les deux dernières années, inaction totale de l’Etat israélien pour accueillir ces réfugiés… Ces éléments de réponse semblent partiels, tant le racisme démontré durant ces manifestations semble profondément installé.

    Cet article n’est qu’une tentative incomplète d'éclairage sur le sujet, fondée sur trois jours d’interviews de réfugiés, d’activistes et de membres d’organisations venant en aide aux migrants, d’habitants du quartier et de manifestants.

     

    ·         De l’Afrique à Israël : un parcours du combattant

    Bienvenue en Israël... ou pas.Dans le quartier, pauvre, de Shapira se mélangent Israéliens, Arabes, Philippins, Turcs et Africains. Non loin de la Central Bus Station, des centaines de migrants se retrouvent la journée et surtout en soirée pour dormir.

    Beaucoup de ces réfugiés fuient la guerre, la violence, les discriminations. Certains ont perdu leurs familles et leurs rêves. Abdou, diplômé en art, a quitté le Darfour pour trouver du travail. Sa tribu est en effet minoritaire et discriminée. Trouver un travail au Soudan est pour lui quasiment impossible. Les Erythréens fuient également les violences. Tisfay, 22 ans, explique ainsi que partir était le seul moyen pour lui d’échapper à un enrôlement forcé dans des groupes de rebelles. Il n’a pas pu entrer à l’université.

    Ces réfugiés, arrivés depuis une semaine ou plusieurs mois, sont entrés illégalement en Israël. Les Soudanais ont pu obtenir des papiers leur permettant d'entrer en Egypte, mais de là, ils doivent recourir à des passeurs. Le passage leur coûte environ de 1 500 à 2 000 lires égyptiennes (200 à  267€).

    Pour les Erythréens, la situation est encore plus dure. Ils ne peuvent en effet arriver légalement en Egypte. Le trajet dure ainsi plusieurs semaines, à pied jusqu'à la frontière soudanaise, puis en voiture à travers le Soudan et l'Egypte. Le passage en Israël leur coûte environ 4 000 dollars (3 200€). Beaucoup meurent dans le Sinaï ou sont victimes de violences de la part des passeurs égyptiens. Ces derniers leur demandent 40 000 dollars (32 000€) pour laisser passer les membres de leurs familles qui viendraient après. Sinon, ils menacent de les tuer.

    Une fois entrés en Israël, les réfugiés se présentent aux autorités israéliennes pour obtenir un visa. Ils sont pris en charge pendant environ deux semaines. "On nous fait passer des tests médicaux, pour voir si nous ne sommes pas porteurs de maladie. Et ensuite, ils nous libèrent." explique Abdou.

    Shapira, squareDehors, les réfugiés se regroupent, comme à Tel Aviv dans les quartiers d'Hatikva et de Shapira. Beaucoup se mettent ensuite à la recherche d'un travail. Ils ne trouvent la plupart du temps que des "tchik tchak works" ou petits travaux d'une heure ou deux heures, consistant à vider des camions de marchandises, nettoyer des magasins... Ils sont payés environ 20 à 25 shekels de l'heure (de 4,11 à 5,14€) par les employeurs israéliens. Les patrons arabes qui les emploient parfois dans des magasins ou des fermes sont connus parmi les réfugiés pour ne pas payer ou tricher sur les salaires.

    Dans le quartier de Shapira, deux à trois cents réfugiés environ dorment la nuit dans le parc, parmi les rats. Certains Soudanais logent dans une maison non loin, pour un loyer d’environ 150 shekels par mois (30,8€). Le soir, « La Soupe Levinsky », une association solidaire du nom de la rue qui longe le parc, distribue environ 800 repas par soir. Cette organisation a été créée en 2011, après le vote par la Knesset (Parlement israélien) d’une loi refusant aux migrants clandestins le droit à travailler en Israël. Ces migrants, une fois arrêtés, devront être placés dans des camps de détention – des « camps de concentration » d’après les opposants à cette loi – situés dans le désert du Négev, au sud d’Israël.

    Une dizaine d’organisations tentent de soutenir les migrants du sud de Tel-Aviv, que ce soit en leur donnant accès à des soins, à un soutien psychologique ou à une aide juridique. Dans les bureaux de Kav Loaved (organisation pour les travailleurs Israéliens, étrangers et Palestiniens en Israël et dans les colonies), une femme originaire du Congo Kinshasa, explique que l’un de ses employeurs refusant de lui payer ses congés, elle vient demander l’aide de l’organisation pour faire valoir ses droits. Arrivée en 2001, autrefois institutrice, elle vit aujourd’hui de ménages chez des particuliers israéliens. Depuis 2001 et bien que réfugiée, elle ne dispose que de visas de travail de 6 mois renouvelables. Son loyer est de 2800 shekels par mois (576,6€)  et elle ne gagne que 25 à 30 shekels de l’heure (de 5,14 à 6,2€)en fonction des employeurs. Il lui a ainsi été impossible de scolariser sa fille, arrivée avec elle en 2001. Cette dernière vit donc également de ménages.


    ·         Racisme et montée en violence : un danger imminent pour les migrants

    Manifestation anti-migrants africains - 30/05/12Les migrants africains sont, en Israël, de plus en plus la cible de violences. La femme originaire du Congo Kinshasa rencontrée dans les locaux de Kav Loaved et citée plus haut, raconte les insultes quotidiennes lancées par les blancs israéliens. Injures, interpellations et appels à « rentrer dans leur pays », beaucoup d’Israéliens font montre d’un réel racisme à l’égard de ceux qu’ils appellent les « kouchi kouchi ». Selon elle, la situation s’aggrave depuis quelques années.

    Ces insultes et cette violence verbale, ajoutée aux manifestations violentes organisées récemment s’expliquent en partie par la situation précaire des quartiers dans lesquels se réfugient les migrants. Les populations, déjà pauvres, de Shapira et d’Hatikva, vivent ainsi mal l’afflux récent de réfugiés africains et la tension monte.

    A Shapira, une famille de commerçants dit avoir plus de problèmes avec la population érythréenne qu’avec les Soudanais. Certains d’entre eux,  consommateurs de drogues et d’alcool, deviennent violents le soir. D’autres volent portables et bicyclettes, parfois pour les revendre dans une des rues adjacentes où les vendeurs ambulants s’alignent les uns à côté des autres. Dans cette famille de commerçants, le père est originaire d’Hébron, (Cisjordanie) et la mère est arrivée des Philippines en Israël il y a 34 ans de cela. Bien qu’elle se dise compatissante envers ces réfugiés, elle ne comprend pas pourquoi l’Etat israélien les laisse entrer sur le territoire « alors qu’il y a tant de chômeurs qui ne demandent qu’à venir travailler ici, de Ramallah, d’Hébron » et d’autres villes situées de l’autre côté du mur de « séparation ».

    La main-d’œuvre bon marché que représente les migrants africains et également asiatiques (dans le domaine, principalement, des services à la personne) est une réelle aubaine : au lieu de payer un travailleur israélien 40 shekels de l’heure, il est possible d’embaucher un migrant pour 20 à 25 shekels de l’heure ( (de 4,11 à 5,14€)… D’autant plus que légalement, ils ne peuvent plus travailler s’ils n’ont pas de visa. Cette situation explique également, d’après les habitants rencontrés à Hatikva, la récente montée de violence alors que beaucoup d’habitants sont sans emploi.

    Manifestation anti-migrants africains - 30/05/12 - Tentative d'argumentation Certains riverains, à Hatikva notamment, ont commencé à se mobiliser contre les migrants. L’une d’entre eux explique avoir écrit à la Knesset pour que le gouvernement « nettoie les rues du quartier ». Elle dit craindre pour sa sécurité et être importunée par les Erythréens qui vivent dans les maisons voisines.

    D’après un habitant du quartier, les migrants ne sont pas tous des réfugiés, certains viennent pour travailler, et priveraient ainsi les Israéliens de travail. Les différences de culture, de coutumes, le fait que la majorité soient des hommes, qu’ils abusent d’alcool ou de drogues explique selon lui le fait que la population riveraine craigne leur présence.

    La semaine dernière, dans ce même quartier, une manifestation contre les immigrants africains a violemment dégénéré, entraînant le saccage de plusieurs magasins dans la rue principale, le passage à tabac de deux hommes et l’arrestation de mineurs israéliens. Dans les rues adjacentes, la tension est toujours palpable : il est difficile de parler avec les migrants, certains craignant des représailles.

    Les manifestations sont censées continuer jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée par le gouvernement.

    Manifestation anti-migrants africains - 30/05/12La solution jusque-là proposée par le ministre de l’intérieur israélien Eli Yishai : l’enfermement et la déportation. Selon lui, « les infiltrés [africains] et avec eux les Palestiniens, mettront rapidement fin au rêve sioniste. » (Interview, journal Maariv) D’après le Procureur général Yehuda Weinstein, il n’y a de plus plus aucune raison de garder les migrants et réfugiés originaires du Sud-Soudan, la région étant à présent, selon lui, stable et sûre…

     

    Israël : terre refuge?

    Manifestation anti-migrants africains - 30/05/12Au travers des interviews de riverains et d’activistes, au travers des slogans lancés et l’attitude des manifestants à l’encontre des migrants rencontrés sur leur chemin durant la manifestation du mercredi 30 juin, un autre facteur apparaît ainsi. Les réfugiés d’origine africaine sont acceptés s’ils sont, à l’extrême limite, juifs éthiopiens, ces derniers étant également victimes de discriminations.  

    D’après un riverain rencontré à Hatikva, la population israélienne craint en effet que les migrants non juifs ne constituent la majorité de la population et que des discriminations à l’encontre des juifs ne commencent en Israël. L’Etat israélien doit rester un Etat juif.

    Selon la militante à l’origine de la « Soupe Levinsky », « ce n’est pas agréable à dire, mais les gens qui vivent en Israël veulent qu’Israël reste un Etat juif. Je ne sais pas pourquoi. Ils ne pensent pas aux autres personnes. C’est tordu. Comment expliquez-vous qu’Israël ait occupé [en Palestine] pendant tant de temps ? »

    D’après elle, « l’Holocauste a été tellement choquant que ce tout que nous en avons appris est : être fort… et raciste. ». Son père et ses grands–parents ont été eux-mêmes enfermés dans des camps de concentration durant la seconde guerre mondiale.

    Manifestation anti-migrants africains - 30/05/12D’après le Rapport Annuel sur le Racisme en Israël de 2012, publié par la Coalition contre le Racisme (CAR), les Palestiniens, les Ethiopiens, les Mizrahim (Juifs de l’est) et les travailleurs migrants sont les principales cibles des violences racistes. Environ 35 lois sont de plus jugées discriminantes contre les minorités ethniques et nationales par l’organisation.

    Depuis 2008 le nombre d’incidents n’a cessé d’augmenter, passant de 109 en 2008 à 510 pour les mois de mars 2011 à février 2012.

    La société israélienne est ainsi loin de représenter un idéal de communion de peuples de différentes origines fuyant les discriminations pour trouver paix et sérénité. Juifs d’Europe de l’est, Juifs éthiopiens, Arabes, réfugiés et migrants africains sont les cibles d'un racisme très profondément incrusté dans la société israélienne et violent dans ses manifestations légales, politiques, économiques et physiques.

     

    « Nous qui sommes les petits-enfants et arrière-petits-enfants de ces memes réfugiés et survivants [de l’Holocauste] devrions ressentir de l’empathie pour les réfugiés, qu’ils fuient les persécutions ou la faim. » écrit Michael Warschawski, historien et essayiste Israélien. La «  tradition juive est pleine de commandement sur l’amour envers l’étranger. Non seulement sur le fait de traiter quelqu’un avec dignité mais avec un réel amour ! »

     


    ***

    NB: Il a été difficile de différencier sur le terrain les migrants disposant d'un statut de réfugié et ceux venus pour travailler. Je n'ai de plus pas eu l'intention objective de les différencier sachant que tous les migrants rencontrés, statut de réfugié ou pas, viennent de pays actuellement en guerre ou sont victimes de lourdes discriminations et/ou menacés dans leur pays d'origine. De toute évidence, le statut de réfugié n'est pas respecté en Israël. Les deux termes (migrants et réfugiés) sont donc employés indifféremment dans cet article.

    Photos: ici

    Liens:

    - ASSAF, organisation pour les réfugiés en Israël

    - Kav Loaved, organisation pour les travailleurs israéliens, palestiniens et étrangers en Israël et dans les colonies

    - African Workers Union in Israel

    - The Hotline for Migrant Workers

    - Ha Aretz newspaper: "Israeli minors charged with robbing, beating African migrants in Tel Aviv", 31/05/12

    - Ha Aretz newspaper: "Eli Yishai: Israeli women afraid to report rape by African migrants due to AIDS stigma", 31/05/12

    - Fight racism:  "The main findings of the 2012 Racism in Israel Report"


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