•  « Tu sais, quand je vois un Israélien en uniforme, ou même en civil, je ne peux plus m'empêcher de penser “toi, tu as fais ou tu fais ton service militaire”. Ou “tu as 20 ans, il y a beaucoup de chances pour que tu y sois encore”. Si le mec a 40 ou 50 ans, “tu es peut-être celui qui lui cassé sa dent, qui l'a battu jusqu'à ce qu'il tombe, inconscient, alors qu'il voulait juste aller à l'Université”. Je ne suis pas raciste, antisémite, mais je ne peux pas m'empêcher de penser ça ». Les yeux de Sam lancent des flammes quand elle raconte cette histoire. Cela fait bientôt deux ans qu'elle sort avec Mahmoud, qu'elle fait des allers-retours entre l'Angleterre et la Palestine. Deux ans pendant lesquels s'accumulent les histoires de ce genre racontées par des gens qu'elle aime. Un en particulier.

    Chaque Palestinien a une anecdote à nous raconter. Son passage en prison, un moment particulier de la 1ère ou de la 2nde Intifada. La liste de ces témoignages est sans fin. La plupart racontent avec le sourire, avec une certaine fierté. Comme Ahmad: « Ils m'ont cassé le genou à coups de crosse pendant la 2nde Intifada. Et après, je ne pouvais plus marcher, ni tenir debout. Il ne me restait plus qu'à protéger ma tête pendant qu'ils me battaient. Mais j'étais content : j'ai cassé le nez d'un des soldats. Donc 1 point partout ». Ce que nous racontent les Palestiniens ici, ce sont des histoires de torture et de passages de checkpoint à coups de crosse. Ce sont des humiliations en continu, violentes ou non.

    L'occupation israélienne en Palestine et dans les territoires syriens du Golan est illégale, c'est une humiliation en soit. Le déni de leur vie ici, de leur droit à avoir une vie normale, à ouvrir un commerce, à voyager hors et au sein de leur pays. Cette illégalité a été reconnue en 1949 par la IVème Convention de Genève. Pourtant, les Palestiniens sont toujours occupés, et sont toujours considérés comme des « terroristes », même si les terroristes dans l'histoire, ce ne sont pas eux mais les colons et l'Etat d'Israël. Les Palestiniens sont des « terroristes », parce qu'ils sont arabes et "tous" musulmans. A moindre échelle, c'est comme dire que parce qu'on est Français, on parle tous mal anglais, on a tous mauvais caractère et on mange tous des croissants tartinés de foie gras au petit déjeuner. Pour les Palestiniens, ce que nous considérons comme terrorisme, est résistance. Et les kamikazes, me direz-vous ? Fini, interdit par tous les partis. Un des dernier en date était un homme d'une vingtaine d'années qui n'en pouvait plus de voir les tombes de ses amis, combattants de la 2nde Intifada, le hanter sous ses fenêtres. Personne ne lui a dit d'aller se faire sauter à Tel Aviv. Il a craqué. C'était le suicide inutile, dans sa chambre, inconcevable pour la religion musulmane, ou le suicide « utile », pour la vengeance. C'est critiquable. Mais cet homme ne s'est pas fait sauter pour les vierges. Il n'a été « embrigadé » par personne. Il a « juste » craqué.

    Les Palestiniens sont un peuple de fortes têtes. Femmes et hommes. Feraz m'a raconté en souriant les techniques qu'il adoptait en prison pour s'épuiser afin de ne pas parler dans son sommeil, ou comment ils se relayaient, quand ils n'étaient pas placés en isolement, pour ne pas que certains « avouent » dans leurs rêves les crimes qu'Israël leur prêtait. Sam s'énerve chaque fois qu'elle se rappelle l'histoire de cette dent, Mahmoud sourit. Houssam compare de manière scientifique l'évolution des techniques de torture ou « d'interrogatoire » adoptées en fonction des différents services qui l'interrogeaient ou des années. Il prend en pitié cette femme soldat, juive africaine, traitée comme une moins que rien pour sa couleur de peau par des soldats juifs russes alors qu'il était en prison. Ahmad me raconte fièrement qu'il a gagné ce jour-là, en cassant le nez de ce soldat... même si ça lui a coûté un séjour à l'hôpital. Sa mère résiste chaque jour aux colons qui ont réquisitionné illégalement la maison à côté du centre pour les femmes et les enfants dans lequel elle travaille à Jérusalem. Nawal lutte pour que son enfant ait des papiers de Palestinien jérusalémite, comme elle, tout en se bagarrant pour ne pas perdre les siens dans le combat, car son mari est Palestinien de Cisjordanie; il n'a pas le droit de mettre un pied à Jerusalem et il est toujours « blacklisté » pour son engagement à gauche. Haïfa lutte dans la vieille ville d'Hébron pour tenir son magasin d'objets faits à la main par des femmes sans emploi, mariés à des hommes sans emploi. Elle garde elle aussi la tête haute face aux colons. Habes travaille jour et nuit à maintenir son centre pour enfants handicapés dans le camp de réfugiés de Naplouse. Ziad tient tête aux soldats quand, sur la route de Jénine, on lui demande de sortir toutes les affaires de sa valise.

    Pour eux, la résistance est quotidienne. Continuer à vivre ici, c'est résister. Au-delà de ça, on leur dénie le droit de répondre violemment aux agressions israéliennes: « C'est ce que les gens ne comprennent pas à l'étranger. », explique Sam, « Comme dans le cas des deux gosses qui ont été renversés par la voiture d'un colon alors qu'ils lançaient des pierres: les gens ici ont le droit de résister violemment. C'est un droit reconnu par le Droit international. Ce colon était illégalement installé à Jerusalem Est. Et puis merde, ce n'étaient que des gosses... Dix ans pas plus... Et le colon leur a délibérément foncé dessus en voiture.»

    Ces hommes et ces femmes, ce sont tous ceux que j'ai rencontrés ou avec qui j'ai vécu durant les six mois que j'ai passés ici. Ils m'ont tous touchée à un moment ou à un autre. Mais quand ils voient ma mâchoire tomber, ou quand ils voient les yeux de Sam s'agrandir d'horreur et de colère, ils rient, haussent les épaules et disent : « Tout ça c'est normal!  Pour vous non, mais pour nous oui. » Pour eux, se faire humilier, battre, ne pas pouvoir aller à Jérusalem ou au bord de la mer, c'est normal. C'est devenu normal avec le temps. Et c'est peut-être ça le pire.

    C'est leur histoire que j'aimerais pouvoir vous raconter. Je n'écris pas assez bien pour la retranscrire de manière juste. Pour faire tomber votre mâchoire comme la mienne est tombée. Mais j'aimerais essayer. Juste pour leur rendre hommage, pour les remercier pour tous ces moments passés avec eux, pour ce qu'ils m'ont appris, montré, pour les nouvelles portes qu'ils m'ont ouvertes, pour tout ce qu'ils m'ont apporté. Je ne pourrai pas parler de tous, de chacun. Je ne veux pas romancer ou dramatiser leur histoire plus qu'elle ne l'est déjà, juste essayer de vous la raconter comme ils me l'ont racontée, comme ils me l'ont montrée.

    J'ai commencé ce récit de manière dramatique, parce que l'histoire de la Palestine est dramatique depuis 60 ans au moins. Et cette histoire-là, c'est l'histoire que j'ai pris en pleine face en arrivant ici. Je ne savais rien de la Palestine, rien d'autre que le déroulement « officiel » des Peace talks et en gros l'histoire de la région. Les colonies? Juste à Jérusalem est. Le mur? Sur la Green line. Rien de cela n'est vrai et je l'ai vite réalisé avec une bonne carte ainsi qu'en ouvrant les yeux à chaque trajet en bus. Je tenais à rester « neutre », à trouver des torts de chaque côté. Les Palestiniens ne sont pas des anges, le pouvoir est ici corrompu. Ils ne me l'ont pas caché: ils me l'ont expliqué. Et ma prétendue « neutralité » est morte à force de passer les checkpoints et d'écouter les Palestiniens que je rencontrais. J'ai aussi rencontré des Israéliens, je vous en parlerai ici. Leur histoire aussi était lourde. Mais l'occupation israélienne en Palestine reste illégale. Ce ne sont pas deux Etats qui s'affrontent à armes égales. Ce n'est pas un conflit. C'est une occupation. On ne peut pas rester neutre face à ça. La neutralité, c'est rester les fesses sur la Green line, avec des œillères et des boules Quiès. C'est n'écouter que les médias européens ou américains, et uniquement lorsqu'ils parlent des Peace talks.  Mais là encore, il ne faut surtout pas essayer d'analyser un peu. Non, la neutralité, c'est ne tout simplement pas venir ici en Palestine ou en Israël. C'est rester chez soi et ne pas suivre l'information, d'où quelle vienne. Sinon on se rend compte très vite de quel côté est l'injustice. Passer un checkpoint est choisir son camp.

    Mais quand je dis que j'ai laissé ma « neutralité » au placard, je pense cependant avoir gagné en objectivité. Parce que maintenant j'ai vu un peu de la Palestine, j'ai pu essayer d'analyser moi-même, comprendre un peu mieux comment fonctionne les sociétés et mentalités israélienne et palestinienne. Tenter de mettre des faits sur du flou, des nombres sur des ombres. Je suis encore à des années lumières de tout comprendre. Je n'ai passé que six mois ici, en stage, à effectuer une recherche sur l'agriculture. Pour ce travail, j'ai voyagé dans tout le pays, rencontré des résistants et des non résistants, des officiels et des « petits », des hommes et des femmes. Et tout au long de cette recherche, j'ai découvert l'autre visage de la Palestine, loin du sang et des larmes, ou du terrorisme. Les Palestiniens ont un sens de l'humour, une ironie acerbe, critique. Ils rient, prennent chaque occasion possible pour faire la fête et me rabrouent quand je suis fatiguée de la faire avec eux. Car on ne sait jamais quand on aura l'occasion d'en faire une autre et que la fête c'est la fête : « alors tu souris et tu viens danser » comme dit Houssam. Cette histoire c'est aussi l'histoire des fiançailles et du mariage de Sam et Mahmoud. Les soirées dans le désert. Les blagues, les fous rires. Nos histoires de visa qui deviennent drôles quand elles sont enfin résolues. Leurs projets de partir à l'étranger pour étudier. Aucun n'ont d'illusions quant à l'avenir de leur pays. Ils ne croient plus en grand chose. Juste que même si tout ça c'est « normal », il faut continuer à résister. Et la fête fait partie de la résistance. Israël veut les voir sombrer. Ils font le contraire. Si on peut faire la fête, il faut la faire. Point. Si on peut rire, on rit. Point. « Alors tu souries et tu viens danser »... Wa hallas. (Et c'est tout)


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  • Dans le camp de réfugiés de Jenin, au nord de la Cisjordanie, se trouve le Freedom Theatre  (théâtre de la liberté). Les acteurs et actrices de ce théâtre sont pour la majorité Palestiniens. Le metteur en scène, Juliano, est le fils de la créatrice du théâtre, juive révoltée contre l'occupation. Le théâtre présente des pièces telles que La ferme des animaux de George Orwell, ou Men in the Sand de l'auteur palestinien Ghassan Kanafani. Ils mettent en scène dans chacune la Palestine, comme dans leur nouvelle pièce, Alice au Pays des Merveilles. Alice, ici Palestinienne, élevée dans un milieu traditionnel, se débarrasse dans le pays des merveilles du poids de sa famille et de la religion.

    Les acteurs nous expliquent qu'il est parfois difficile pour le public d'accepter ces mises en scène et ces adaptations. "Quand quelqu'un a les mains devant les yeux, il ne s'agit pas de pousser gentiment, mais il faut tirer violemment pour qu'ils voient", dit R., combattant de la liberté pendant les 7 ans qu'a duré la seconde Intifada et maintenant acteur. "Avant je faisais la révolution avec un fusil. Maintenant je la fais par l'art.". "L'occupation, c'est les checkpoints, les tanks, les arrestations, mais c'est aussi dans la tête". C'est contre cette occupation là qu'ils veulent se battre par le théâtre.

    La pièce sera présentée au public dans 10 jours.

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  • BONNE ANNEE !!!

     

    Notre réveillon du nouvel an s'est déroulé au bureau avec Palestiniens et internationaux, un trentaine de personnes réunies pour fêter la fin d'une année pas très joyeuse pour la Palestine et le début d'une année qui ne s'annonce pas plus brillante... Mais bon, on était là pour danser (sans modération), picoler (avec modération ) et tout simplement s'amuser. Minuit a sonné trois fois, ou quatre, suivant les montres, et on a compté en italien, en anglais, en arabe, en onomatopées, sur la chanson Emportée par la foule, d'Edith Piaf. Quand on a enfin d'écidé qu'il était minuit pour tout le monde, on a fait pêter le champagne, enfin une sorte de champagne, et on s'est aspergé de Sprite, grâce à une bouteille très professionnellement secouée pendant les trois (ou quatre) décomptes. 

    Et jusqu'à 4h du matin, on a continué à danser...

     



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  • The Iron Wall 

     

    Defamation 

     

    Après cette charmante sélection de films pour finir l'année en beauté, je vous souhaite un très joyeux noël (en retard) et un très bon réveillon de fin d'année...

    On se revoit l'an prochain !!!

     

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